Au Bar Défi Lancé

if you gotta ask, you'll never know!

Monday, June 06, 2005

Ping Pong


[hommage à lebaronperche.blogspot.com]

Décidé à changer de logement, j'ai contacté Selda, grosse femme mystérieuse recommandée par un ami pour ses bonnes affaires. Elle m'a fait visiter, dans une petite rue donnant sur l'avenue de Versailles, non loin du pont Mirabeau, une chambre de bonne assez bien arrangée. Selda, que je sommais de m'expliquer le prix si bas du loyer, m'avoue que personne n'occupe l'endroit depuis plusieurs années, à cause des nombreuses rumeurs qui ont couru sur la folie subite du précédent locataire. En ouvrant d'un coup sec l'un des deux tiroirs de la petite table de nuit, un feuillet s'envole. Je le saisis, avant Selda, toujours agile - malgré son poids - pour s'emparer de ce qui ressemble à un billet. Le bout de papier semble être extrait d'un journal de bord :

"QG, fin ** été .."
Quelle heure est-il? Allongé dans mon lit, en sueur, j'ai cru entendre des craquements dans la chambre. 4h30...Suis-je en train de rêver? Des souvenirs me reviennent.

Ma dernière attaque était sournoise - tant pis pour la fierté- mais devait réussir : posté sur une chaise, elle-même adossée à ma fenêtre, j'avais réussi à placer de la mort-aux-rats dans leur nid douillet, dans MA soupente. Nul doute que la faim - ou leur satanée désinvolture - aura poussé ces indolents volatiles à goûter ce met inattendu.
A nouveau un claquement sourd retentit, puis un autre, finalement un grouillement organique s'amplifie, à environ trois pas de mon lit. J'allume la lampe de chevet. J'hurle : une vingtaine de ces ordures volantes - toute la sombre racaille recrutée et formée par Pongo - s'agite de manière chaotique au pied de mon lit . Ils avaient tous goûté au poison, et, plutôt que de passer l'arme à gauche docilement, serrés les uns contre les autres dans la soupente, ils avaient préféré lancer un dernier raid, histoire de me traîner en Enfer avec eux. La peur, alliée à une soirée fortement alcoolisée, me faisait délirer (le succès de l'opération poison m'avait fait ouvrir mes meilleures liqueurs, certain que j'étais d'avoir réglé une fois pour toutes ce conflit à plumes). Recroquevillé dans mes draps, je me faisais l'effet d'un pauvre matelot, accroché à un bout de la coque de son navire échoué, et qui sent grouiller autour de lui, dans le bouillonnement des eaux, mille dangers invisibles.

Passé ce premier effroi, je reconnais une à une les formes qui rongent mon parquet et les quelques meubles alentour : il y a le couple maudit - Pongo et Perdita - et les proches qui avaient pris l'habitude de nicher avec eux sous mon toit. Ceux-là, du fait que je ne les avais encore jamais nommés, se révèlent encore plus effrayant que le couple squatteur. Sans nom, sans forme distincte, ma conscience ne peut pas les étiquetter, je n'arrive pas à en faire de simples pigeons; ce sont des formes grises et noires, tordues, demultipliées par leurs ombres allongées sur les murs. Cet amas de pattes et de becs me renvoie aux araignées mutantes qui ont toujours peuplé les rêves de mon enfance. Pour échapper à cet obscur Léviathan, je décide de porter toute mon attention sur Pongo et Perdita. Celle-ci semble avoir succombé, elle vient de rejoindre le tapis animal collé à mon lit, il ne reste plus que Pongo.

J'amorce un mouvement, fébrilement décidé à jouer l'oiseleur, mais son allure me pétrifie : dans l'ivresse de l'agonie, Pongo semble avoir disjoncté. Lui, le plus féroce d'entre tous, pique puis déchire comme une Furie les lattes du parquet et les pieds de mon lit. L'approche de la mort l'avait rempli d'une rage aveugle et sourde. Le bec pailleté d'échardes, le voilà qui redresse son cou, et pointe son regard - sic- vers moi. Ses pupilles, toutes petites, sont noires et luisantes, comme celles d'un squale qui vient de repérer sa proie. Soudain il déploie ses ailes sales, et décolle vers moi. Engourdi par le poison, il perd quelques secondes, qui me permettent de me protéger le corps avec mes couvertures, le visage avec mes avant-bras. Ses griffes se plantent dans ma chair - une décharge d'adrénaline me secoue - et je parviens à le repousser violemment. Un instant je les imagine m'attaquer tous en même temps, me ronger le foie, (à moi le nouveau Prométhée, livré au supplice pour avoir apporté aux hommes la chaleur et le calme d'un foyer sans volatile) puis je dois me concentrer pour repousser une nouvelle attaque de Pongo. A son troisième assault, je parviens à saisir une de ses ailes. Pongo s'agite, écartelé entre la mort lente par empoisonnement et la douleur immédiate causée par ma prise. Dans une colère blanche, il déchire de son bec la peau de ma main, mais, porté par l'horreur, je tiens bon. De l'autre main, je parviens à saisir mon briquet sur ma table de nuit. Je le pointe vers la tête hystérique de Pongo et l'allume. Dans un état second je m'entends crier : "Ca, c'est pour Ramon!!!"
Ma main gauche lacérée n'est plus qu'une plaie, déchiquetée encore et encore par Pongo, qui finit par mourir, l'oeil et le bec carbonisé. J'ai... ...


"_ Selda??
_ .... "

1 Comments:

Blogger drifal said...

merci merci!
Oh non baron Carré, tu écris bien mieux (d'où l'hommage)
Bonjour Pongo
bien sûr que je veux être publié! ;)
Vas-y!
Je m'en vais lire nepigo.org...
A bientôt

9:09 AM  

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