Au Bar Défi Lancé

if you gotta ask, you'll never know!

Wednesday, July 06, 2005

A l'huile


J'en ferais des commentaires, si l'on me demandait mon avis. Mais c'est à chaque fois la même chose : je dois écouter des plaintes, des désirs, des chagrins, et faire avec. Celle-là qui patiente maintenant dans ma salle d'attente, ça n'est pas comme si je l'aimais, non, mais plutôt comme si c'était une obligation, comme si je devais prendre la pose. Alors quand elle est arrivée, que lentement elle s'est assise en face de moi, je ne savais pas si elle allait se taire ou bien me demander quelque chose. Elle avait, planté dans sa chevelure, un large chapeau mou qui ondulait comme le sommet d'un champignon des bois. Quand je vous dis qu'elle dégageait quelque chose de profondément naturel, une évidence qui me faisait me demander s'il n'y avait pas, posté là, juste derrière moi, un peintre tendu devant son chevalet, armé de tous ses pinceaux et prêt à en découdre avec une vérité essentielle...
Quand comme ça on se sent faire partie du décor, tel ce presse-papier endormi sur un coin de mon bureau, on commence à voir la scène autrement. J'étais censé la questionner, c'est bien ça? J'étais censé lui faire mon numéro habituel? Mais non! Et d'abord comment faire? Devant ce modèle à l'huile toute ma personne glissait, je me sentais gris et pathétique, comme toutes les toiles que j'avais essayé de peindre avant, ces essais qui à l'époque me plaisaient mais qui maintenant me faisaient honte.

"_ Mon mari ne va pas bien. J'ai peur. Il ne crée plus, ou bien ce qu'il crée est mauvais, mauvais par rapport à ce qu'il faisait avant. Je m'inquiète. Vous avez un rôle à jouer, vous êtes son allié, son compagnon dans cette aventure. Et puis c'est votre poule aux oeufs d'or, non?
_ Je m'en fous, vous ne connaissez pas ma réputation : je peux TOUT vendre! En plus votre mari s'est fait un nom maintenant, il pourrait cracher de l'encre sur ses toiles et les exposer devant des bourgeois fascinés.
_ Non, vous ne comprenez pas. Je ne m'inquiète pas des ventes et de l'argent ramené par mon mari, je m'inquiète pour son art. Ca, ca vous intéresse?
_ ... Ca n'est pas de mon ressort en fait... Qu'a-t-il perdu selon vous?
_ Le décalage, la puissance, la profondeur, ce qui faisait de lui un grand enfin! Et ne faites pas comme si vous l'ignoriez, vous êtes un expert, non? C'est vous qui l'avez choisi quand, jeune, son potentiel vous a bouleversé. Vous voyez donc bien qu'il n'est plus maintenant que l'ombre de lui-même!
_ Madame, Adèle - je peux vous appeler Adèle ? - je m'en moque, j'ai perdu la patience et l'amour de l'Art.
_ Alors je vais lui faire rencontrer quelqu'un d'autre, un marchand attitré qui saura faire plus que "vendre" ses toiles, un passionné qui saura réveiller son talent.
_ Vous voulez réveiller son talent?? Alors faites-le souffrir!"

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