Au Bar Défi Lancé

if you gotta ask, you'll never know!

Tuesday, July 12, 2005

Roméo & Juliette


Ballet de Noureev - Musique de Prokofiev - Opéra Bastille 06/07/05 -

Qu'ils sont beaux! Vous vous rappelez cette scène du premier acte : Roméo, entraîné par son ami Mercutio, se déguise et s'infiltre au bal donné par les Capulet, dans une cascade d'or et de bleu vénitien. Là les parents de Juliette sont censés lui présenter son futur mari. Mais elle rencontre Roméo.
Au fond de la scène, en haut des marches, entre deux colonnes dorées et finement sculptées, les convives s'affairent autour du buffet. Leurs tuniques rougissent dans une lumière cuite, on les voit parler et rire. Au premier plan, dans la grande salle de réception devenue vide, Roméo aperçoit Juliette seule, adossée à l'une des colonnes majestueuses. Il entame une danse en la regardant. Pointes viriles, entrechats moqueurs : Roméo est encore un adolescent chahuteur.

Juliette, enchantée, le rejoint dans la danse. Ils s'enlacent. La musique de Prokofiev s'arrondit, envoûte les amants aériens. Qu'ils sont beaux! Chacun de leurs gestes gracieux a valeur de symbole : loin des invités goinfres et bavards, ils sont seuls au monde. Le couple s'est créé, à chaque ondulation leurs corps se fondent. Ce sont deux croches ailées qui sautillent, désinvoltes, sur une partition nocturne. Blanchis par l'éclairage de la poursuite, on dirait deux petites flammes, comme si quelqu'un muni de deux lampes torches faisait danser leurs rayons ensemble contre une vitre.
Avant cette rencontre, Roméo n'était qu'un trait, une lame de fer aiguisée mais débile, sans direction, si ce n'est celle de soulever tous les jupons de la ville. Juliette, titienne, vient le couvrir de son amour mûr, et fait de lui une flèche effilée, tendue vers leur destin commun. Juliette devient l'arc, ou bien l'archer, peut-être même la cible et la flèche dorée.
Tantôt sur ses talons, soumise aux portées de son amant, tantôt dressée sur le bout de ses orteils, les bras ondulants comme deux serpents agiles, elle contient et modèle chacun des mouvements du jeune homme.Voyez-les à genoux, mariés clandestinement dans une chapelle de Vérone : leurs jambes sont enroulées autour du même fil, c'est le fil des Parques avec lequel ils dansent et jouent dans leur amour! Leurs deux coeurs battent la même mesure et domptent le temps d'une même pulsation autonome : finies les heures, loin les minutes! Juste une liberté totale, une fusion organique et muette - à quoi sert le language, au fait? - voilà deux comètes, deux géants qui scintillent dans la nuit des hommes.

Ahahaha, arrête, je m'étouffe!
Qu'est-ce que tu as vu? Deux bouts de viandes s'agiter devant toi - bien éclairés je te l'accorde - et tu t'emballes? Tu as vu une paire de collants blancs entamer une série d'arabesques inutiles? C'est les 75 euros de ta place qui t'ont fait bander, aller, avoue! 75 euros, des dames en robe de soirée, une bonne dose de cérémonial, et hop! tu t'envoles! Mais c'est du vent! Du vent tout ça!
Tu ne les entendais pas tousser, se gratter, tes vieux voisins racornis? Parce qu'ils étaient bien croulants je t'assure, un pied dans la tombe, et l'autre en l'air! Et pourtant quel boucan ils font encore, ces gigots! Quand bien même ton Prokofiev aurait écrit de belles choses, comment les écouter au mileu de toute cette mort?
Tu ne les entendais pas aussi, les cloches allongées sur la place de la Bastille, tu sais, tous ceux que tu as évités en venant, et qui crevaient la dalle pendant que tu t'asticotais la nouille? Et ton Roméo tu crois qu'il bandait lui aussi, à se frotter comme ça, pendant trois longs actes, avec sa partenaire? Tu crois qu'il se sentait "croche"? Croche pointée alors, non? Des pantins, des cochons oui!
Moi j'ai vu une chose qui m'a touché : j'ai vu Roméo danser, danser encore et encore, même avec sa Juliette morte - soi-disant morte - dans les bras. Là j'ai vu une petite vérité : danser, danser toujours puis mourir.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home