Au Bar Défi Lancé

if you gotta ask, you'll never know!

Wednesday, September 21, 2005

Dialogue (2)

"_ ... C'est simplement que je trouve la philosophie de l'Orient plus satisfaisante que celle de l'Occident, si tu veux le savoir.
_ C'est vrai? Qu'est-ce que tu veux dire par philosophie? Tu veux dire le sexe et tout? Tu veux dire que c'est mieux en Chine?"

J. D. Salinger - L'Attrape-coeurs

Friday, September 09, 2005

Fanfares


Je n'aime pas les fanfares. On dit que les fanfares marchent au hasard dans les villes, qu'elles égrènent leurs partitions sans préméditation... Mais moi j'ai l'impression qu'elles me suivent!
Tout a commencé à Bourges, dans les lambeaux du printemps. Le festival déclinait, c'était le dernier jour, le dimanche, gratuit, où le badaud s'allonge dans l'herbe et se fond doucement dans les dernières mélodies, celles qui s'échappent du chapiteau qu'on a dressé pour l'occasion.
Le dimanche fait souvent la part belle à la chanson festive, à ces groupes plein de sueur et de cuivres, où les chanteurs bourlingueurs se relayent sur scène, débraillés et réalistes. Ils chantent faux souvent. Mais ils parlent aussi, ils préfèrent dire leurs textes. De toute façon on ne les entend pas, leurs cris sont couverts par l'orchestre, une armée de bois et de métal : des trompettes, des trombones, des clarinettes, des contrebasses, des violons... en diable!
Dehors, à côté du chapiteau, il y a l'odeur de l'herbe fraichement coupée, remuée, écrasée, malmenée, puis libérée, vivante, présente... Les gobelets perçés, les mégots, les amas de paille endormis dans la gadoue, les sacs à dos, les jeunes filles à tresses, ces longs paquets de cheveux emmêlés, rouges, bleus, violets, insouciants et sales... Il y a les gens assis par terre ou couchés, les curieux qui écoutent tout inlassablement depuis le début, qui sont un peu sonnés maintenant... Les groupes prennent l'eau, se mélangent, les sourires titubent et se trouvent naturellement... Tout le monde résonne encore un peu du fracas de la veille, de l'avant-veille... Certains sirotent leur énième demi, l'oeil vague, il n'est que midi!... D'autres, plus appliqués, se roulent un petit joint, ils pensent à la communauté, ils rigolent, ils se regardent, ils suivent des yeux le fin cours d'eau qui clapote à côté, les grands peupliers qui bruissent au vent, où le soleil réveille mille reflets blancs, là dans toutes les feuilles qui se frottent entre elles, qui dansent, tout là-haut...

J'ai préféré marcher dans la ville, visiter un peu quand même, après tout on ne vient pas de Paris uniquement pour boire et attendre... On peut aussi s'essayer à la vadrouille... En plus, la cathédrale Saint-Etienne est magnifique.
Dans la ville haute, assise sur l'ancien rempart gallo-romain, la grosse Tour symbolise le pouvoir royal. Du géant apaisé on perçoit encore le souffle, en faisant le vide autour de soi on ressent encore toute la puissance des archevêques de Bourges, primats d'Aquitaine... On s'imprègne de la vision d'Henri de Sully, qui, assisté de ses chanoines, décide en 1195 de tout reconstruire à partir du chevet, dans le nouveau style gothique. Il ne verra pas le résultat, il sera mort avant. Comme son successeur, l'archevêque Guillaume de Dangeon... Mais avec les dons des fidèles et des pélerins, la seconde campagne de construction, gros oeuvre de la nef et de la façade occidentale, est finalement achevée vers 1230.
Moi je me colle aux portails sculptés de la façade, je pose mes mains sur la pierre. J'y colle même mon visage, de côté, discrètement quand même, pour ne pas faire peur aux gens. Je m'échappe, je regarde en l'air, contre les hauteurs, je m'envole... j'ai le vertige. Je retombe. Je m'incarne. Je comprends le sourire de l'archange Saint-Michel. Oui, parfaitement. Je me permets même de toiser les boules de monstres qui gigotent en bas, sculptés en Enfer pour l'éternité... Je pense à deux trois imbéciles qui ne mériteraient pas mieux. A ma tante...
Mais le festival avait bougé. De loin j'entendais la fanfare, celle qui jouait déjà sur le site des concerts, en première partie de certains artistes... Là elle s'était mise à sillonner la ville... le centre, les jardins, les terrasses des cafés... les salauds! D'accord c'est amusant un moment la fanfare, c'est tellement libre, c'est gai... Mais stop! Au bout d'un moment stop! Stop les oreilles, les do, les mi mal accordés, les becs mal réglés, les crados, le gros balourd ahuri avec sa grosse caisse! Et ils puent en plus! Ils se sont pas lavés, ca fait des jours qu'ils n'arrêtent pas de jouer! Les voilà qui déboulent sur la place de la cathédrale, agités, fiers, mal fringués, souriants, inquiétants, bruyants...
Je pique vivement dans la petite rue qui s'échappe en coin, entre la pointe de la cathédrale et la place où ces guignols sévissent. Le vacarme s'apaise. Je les ai semés. Puis à nouveau leurs mélodies bringuebalantes se rapprochent. Je décide d'entrer dans la cathédrale. Ah! Le silence des vitraux... Les jeux de lumière colorée... Ici l'enseignement de l'Eglise vibre calmement : autour du Christ du Jugement dernier et de l'Apocalypse, de la Vierge et de Saint-Etienne, s'ordonnent hiérarchiquement les corporations des métiers, les scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament mises en correspondance, la vie des saints et des martyrs, les archevêques de Bourges, les prophètes et les apôtres...
_ Bonjour...
C'était monsieur le curé. Son apparition n'a pas brisé ma contemplation, car elle se fondait parfaitement dans la suite des épisodes saints qui m'absorbaient. Ses yeux noirs, d'une grande profondeur, faisaient deux abîmes dignes des plus ardus mystères des Ecritures. Il était très beau.
_ Vous avez l'air secoué... vous étiez hagard en entrant... pourtant vous sembliez si calme tout à l'heure, quand vous posiez l'oreille sur nos portails...
_ Oui... Connaissez-vous cette fanfare mon Père?
_ Ah! C'est donc eux! Ces gens-là n'aiment pas le silence...
_ Mon Père, j'ai l'impression qu'ils me suivent, ils sont étranges... c'est idiot... mais au fond je crains qu'ils ne me veuillent du mal...
Son regard m'a fixé intensément, moi, mais aussi la lourde porte juste derrière, puis le bénitier, puis un peu les vitraux tout autour... Il hésitait. Puis, résolu :
_ Venez, suivez-moi...

Tuesday, September 06, 2005

J'ai encore rêvé d'elle

Qu'est-ce qui a le plus contribué au bonheur de l'humanité, les choses véritables ou les choses imaginées?

Nietzsche - Aurore

Monday, September 05, 2005

La simplicité

Ce qui a manqué surtout à ma vie jusqu'à présent, c'est la simplicité. Je commence à changer petit à petit.
Par exemple, maintenant, je sors toujours avec mon lit, et quand une femme me plaît, je la prends et couche avec aussitôt.
Si ses oreilles sont laides et grandes ou son nez, je les lui enlève avec ses vêtements et les mets sous le lit, qu'elle retrouve en partant; je ne garde que ce qui me plaît.
Si ses dessous gagneraient à être changés, je les change aussitôt. Ce sera mon cadeau. Si cependant je vois une autre femme plus plaisante qui passe, je m'excuse auprès de la première et la fais disparaître immédiatement.
Des personnes qui me connaissent prétendent que je ne suis pas capable de faire ce que je dis là, que je n'ai pas assez de tempérament. Je le croyais aussi, mais cela venait de ce que je ne faisais pas tout comme il me plaisait.
Maintenant j'ai toujours de bonnes après-midi. (Le matin, je travaille.)

Henri Michaux - La Nuit Remue